Le pont maudit : les chiens sautent le pas
- M.E.L.M.
- 3 déc. 2015
- 6 min de lecture

"C'était une journée comme les autres, froide et humide. On est arrivés sur le pont, mon chien marchait devant moi, et tout d'un coup il a posé ses pattes avant sur le parapet, puis a sauté. J'étais terrorisée, je me demandais ce que j'avais fait pour le tuer." Témoignage de Victoria Seard
C'est à Overtoun Bridge, pont du domaine portant le même nom que se déroule depuis plus d'un demi-siècle un véritable hécatombe canin. Situé sur une colline entre Milton et Dumbarton en Ecosse, le manoir du domaine fut érigé en 1862 par la famille White. Il est actuellement en rénovations pour accueillir un centre destiné à la jeunesse écossaise. Cependant, il n'est pas majoritairement connu pour son histoire ni pour son architecture, mais pour le phénomène étrange qui s'y déroule. En effet, de nombreuses personnes promenant leurs chiens sur le pont ont assisté au décès de ce dernier. Plus d'une cinquantaine de canidés y ont trouvé la mort, toujours de la même manière : à un endroit précis du pont, ils se jettent dans le vide. Certains ayant eu la chance de s'en sortir sont revenus quelques années plus tard, et ont de nouveau sauté. Comment peut-on expliquer un tel comportement animal ? Que pourrait pousser ces chiens à se tuer ? De nombreux scientifiques, comportementalistes canins et journalistes se sont intéressés au mystère du pont des "chiens suicidaires", afin d'essayer de lui trouver une explication rationnelle.
Le surnom du pont est tiré de la principale hypothèse envisagée : le suicide des chiens. C'est l'explication paraissant la plus logique et triviale, en vue des circonstances. L'animal se jette de lui-même dans le vide sans y être forcé, et y trouve la mort.
Seulement, il est légitime de prendre en considération que le comportement canin n'est pas similaire en tout point à celui de l'Homme. En effet, il est difficile d'établir un réel lien entre ces comportements étranges et le suicide, geste qui nécessite un ensemble de capacités cognitives plutôt complexes au nombre de trois. Elles consistent en :
- une prise de conscience de sa propre existence : l'animal doit être capable de savoir qu'il vit, qu'il a une personnalité, une histoire propre à lui-même. Quelques animaux comme certaines espèces de primates, les dauphins, les pies ou les éléphants ont été capables de se reconnaître dans un miroir, montrant un certain niveau de conscience de soi-même. De plus, l'animal reconnu comme un être sensible et intelligent est en mesure de déprimer si il trouve sa vie fade. Cette dépression peut par exemple entraîner un refus de s'alimenter et un regard profondément triste, mais a-t-il vraiment conscience qu'il existe ?
- une projection dans l'avenir : l'animal doit savoir qu'aujourd'hui est aujourd'hui, que demain est demain. Il doit être capable de se situer dans le temps et en avoir totale conscience. Des animaux peuvent faire semblant lorsqu'il jouent, en imaginant donc un monde différent. Par extension, il pourraient savoir anticiper et créer différents scénarios.
- savoir qu'une certaine action peut entraîner la mort : l'animal doit avoir compris que sauter d'une certaine hauteur peut lui faire mal, ou bien que rester sous l'eau sans respirer peut le tuer. Il faut aussi qu'il soit conscient que sa vie est triste et morose, et que la seule solution pour s'en sortir est la mort.
Ces différentes facultés sont reconnues chez certaines espèces animales, cependant il n'est pas possible de savoir si les chiens ou tout autre espèce est capable de les associer afin d'enclencher le processus de suicide. Les scientifiques restent très divisés à ce niveau là puisque certains comportements recensés pourraient y laisser croire. Par exemple, il est de circonstances de citer le 14 novembre 2011, jour où 61 baleines se sont échouées sur les côtes de la Nouvelle Zélande, ou bien l'histoire du cerf s'étant jeté d'une falaise pour échapper à des chasseurs, ainsi que du chien terre-neuve qui, à répétition restait de longues minutes immobiles sous l'eau.
De plus, il convient de ne pas mélanger suicide et comportements auto-destructeurs. Le processus neurobiologique de ces derniers est compris par les spécialistes pour certaines expèces. Il est à noter par exemple le cas des rongeurs, qui une fois infectés par le toxoplasma gondii, présentent une attraction irrépressible pour leur prédateur : le chat, allant ainsi d'eux même à la mort. Le suicide est quant à lui une initiative propre à l'animal sans aucune décision extérieure autre que la sienne.
Malgré bon nombre d'incertitudes au niveau de la réalité d'un suicide animal, elle n'est pas à délaisser compte tenu de certains faits désormais admis. Le projet de loi afin que le statut animal passe de "biens meubles" à "êtres doués de sensibilité" a notamment été adopté par l'Assemblée Nationale le 28 janvier 2015. Ainsi, les émotions animales sont à considérer comme un début dans l'élucidation de la question du suicide, et donc de la possible volonté des chiens de mettre fin à leurs jours sur le pont d'Overtoun.
Même si le suicide canin était reconnu comme plausible, il resterait certaines interrogations sur le mystère du pont. En effet, il est mentionné plus haut qu'un animal doit décréter sa vie comme fade et malheureuse, et comprendre que seul le suicide peut l'aider à aller mieux. Cependant, sur plus de cinquante chiens de profils différents aussi bien physiques qu'émotionnels, il parait improbable qu'ils aient tous été dépressifs et encore plus suprenant qu'ils aient tous choisi ce lieu précis pour mettre fin à leurs jours.
Puis, des scientifiques se sont intéressés à la possible particularité des lieux.
L'hypothèse de sons inaudibles pour l'Homme mais l'étant pour le chien, et l'attirant en bas du pont a été émise. En effet, il est possible pour l'humain d'entendre des sons jusqu'à la limite de 30 000 Hertz par seconde, tandis de le chien peut entendre jusqu'à 50 000 Hertz par seconde. De plus, sa sensibilité auditive, c'est-à-dire, sa capacité à discerner différents sons confondus est supérieure à celle de l'Homme, tout comme son acuité auditive, lui permettant d'entendre plus loin. Les scientifiques ont ainsi réalisé des études acoustiques afin de savoir si un son particulier en bas du pont était à l'origine de leur volonté de s'y jeter. Cependant, rien d'anormal n'a été décelé : l'hypothèse est réfutée.
Puis, il a été imaginé la possibilité d'une odeur particulièrement attirante en bas du pont, comme celle de souris, d'écureils ou de vison. L'hypothèse est renforcée puisque la majorité des chiens décédés sur le pont d'Overtoun étaient surtout de race labrador ou colley, réputés pour figurer parmis les individus avec l'odorat le plus fin. Il n'a pas été démontré que cet hypothèse soit vraie ou fausse.
La dernière hypothèse scientifique a été émise par David Sans, un expert animalier. Il suppose que la conifguration des lieux est à l'origine de ces décès à répétition : "Il y a plus probablement quelque chose qui stimule les chiens. [...] Même nous, nous ressentons beaucoup de choses sur ce pont : on voit la chute d'eau et on la sent, il y a aussi l'odeur des plantes. C'est un sentiment étrange. Nous avons tous tendance à regarder par dessus bord du pont pour voir le fond. C'est la même chose pour les chiens. Leur curiosité est probablement trop grande." En effet, l'environnement donne lieu à une multitude de stimulis extérieurs, combinés à l'immense curiosité canine , ce qui pourrait traduire leur saut par une attirance, une envie d'aller voir ce qui s'y déroule.
Ces suppositions essentiellement scientifiques n'ont pas encore été démontrées, mais semblent des plus probables.
Compte tenu de l'impossibilité de prouver à 100% la validité d'une thèse scientifique, de nombreuses personnes ont expliqué ce phénomène par le paranormal.
Ce lieu géographique est selon la mythologie Celte une brèche entre la Terre et l'au-delà. Cela expliquerait le geste de se jeter du haut du pont par les chiens, afin de rejoindre cet endroit si spécial, les attirant et à la fois les rendant sereins. Les défenseurs de cette hypothèse soulignent la capacité des chiens à ressentir des phénomènes particuliers, comme leur anxiété face à l'orage bien avant son arrivée, qu'ils peuvent reconnaître grâce aux chutes de pressions atmosphériques. Ou bien comme leur capacité supposée à "détecter les esprits", traduite par des aboiements, couinements face à ce qui semble n'être rien. Cependant, il ne s'agit que d'une hypothèse émise par des personnes croyant à ce genre de phénomène, qui ne pourra sûrement jamais être vérifiée.
Dans la même catégorie, Paul Ovens, un professeur de religion s'étant rendu sur place a déclaré qu'il aurait senti comme une poussée dans son dos lorsqu'il s'est approché du parapet, et expliquerait ces sauts de chiens par une force surnaturelle les poussant hors du pont. Il s'agit du même type d'hypothèse demeurant à l'état de simple supposition.
Actuellement, aucune explication n'a été totalement prouvée, et la plupart restent purement hypothétiques. Il semblerait pourtant que malgré l'existence de possibles explications scientifiques, la solution paranormale ne serait pas à écarter totalement compte tenu des immenses capacités canines (certaines pouvant être encore ignorées ou non démontrées, comme le sixième sens).
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