Possession, hantise et envoûtement : on y "croix" ?
- M.E.L.M.
- 3 janv. 2016
- 9 min de lecture

"Nous n'habitions pas dans cette maison, mais il y avait toujours une sensation de malaise lorsque qu'on y entrait. Nous entendions souvent des chuchotements, une voix de femme alors que la maison était vide. Nous étions dans la véranda, quand nous entendîmes un vacarme dans l'escalier comme si des meubles dévalaient les marches. On vérifia : rien ni personne." Témoignage à propos d'une maison hantée dans la banlieue parisienne.
La possession est définie comme un sentiment et une sensation d'une présence aliénante ayant investie littéralement le monde intérieur et le corps d'un individu. Cette présence est selon les cultures liée à une divinité, un djinn (créature surnaturelle issue de croyance de traditions orientales), un esprit, l'âme d'un ancêtre ou un démon. L'interprétation qui en est faite et donc l'approche qui en est proposée diverge selon les cultures et les présupposés.
L'envoûtement se caractérise par une action dont le but est d'infliger à une figurine des traitements sauvages (coups, piqûres) qui par l'effet de déplacement atteindront la personne représentée par cette effigie. Dans la magie ou la sorcellerie ce sont des techniques codifiées visant à assujettir l'autre par des forces, des puissances hostiles supposées occultes.
La hantise quant à elle, se manifeste par un sentiment et une sensation que l'environnement est habité par une présence dont l'action est diffuse et invisible mais en général, récurrente et malveillante. Les cas de hantise ont principalement lieu là où des évenements tragiques se sont déroulés. On différencie deux types de hantise : une plutôt légère et une autre plus poussée. La petite hantise est caractérisée par des bruits de pas, des portes qui s'ouvrent, des déplacements ou disparitions d'objets sans aucunes causes apparentes (supposée comme étant la manifestation d'un poltergeist, ou esprit lutin). La grande hantise est elle caractérisée par des apparitions ou des souffles glacés. Ces phénomènes de hantise sont universels et ont été reconnus au sein de toutes les populations et ethnies mondiales, cependant il existe peu de statistiques disponibles de ces cas dans les pays occidentaux. En 1990, un sondage réalisé aux Etats-Unis recense les opinions diverses au sujet des fantômes et cas de hantise : 9% des personnes interrogées ont affirmé "avoir vu ou ressenti la présence d'un fantôme", 14% ont dit avoir vécu dans une maison hantée, puis 40% ont raconté avoir été en contact avec un mort.
Plus qu'un simple mythe urbain, la hantise ou possession est reconnue par l'Eglise catholique. En effet, un prêtre exorciste catholique est désigné pour chaque diocèse de France (une centaine au total) afin de gérer ces cas de crise. L'Exorcisme Canonique ou Grand Exorcisme ne peut être seulement pratiqué par un des ces prêtres habilités, avec la permission de l'Evêque. En effet, selon la religion, ce rituel religieux visant à expulser une entité spirituelle d'un corps nécessite des compétences spécifiques afin de le mener à bien et d'éviter tout danger. Il y a 25 000 demandes d'exorcisations par an, mais les prêtres ne donnent suite qu'à une infime partie compte tenu de leurs critères d'acceptation, très rigides comparés aux prêtres orthodoxes ou aux imams.
En effet, l'Eglise Catholique rappelle qu’il convient avant tout de bien distinguer les maladies psychiques et psychologiques des véritables cas de possessions. D’après le code de droit canonique (ensemble des lois et des règlements adoptés ou acceptés par les autorités catholiques pour le gouvernement de l'Église et de ses fidèles), quelques « signes » pourraient permettre de diagnostiquer les possessions réelles :
- Le fait de parler une ou plusieurs langues non connues par la victime (xénoglossie)
- Proférer des propos blasphématoires, avoir des réactions violentes et des répulsions instinctives, inconscientes face à des textes bibliques ou des objets saints.
- Avoir accès à des informations cachées ou futures, sans raison naturelle qui puisse l’expliquer (voyance, prémonitions)
- L’utilisation par l'individu d’une force occulte ou non qui dépasse les capacités humaines : par exemple, une force physique décuplée, de la psychokinésie (agir directement sur la matière par l'esprit), ou de la lévitation.
Carmen Trasfi, une femme possédée durant quatre ans à partir de 1868, présentait plusieurs de ces symptômes : elle s'attribuait des noms de démons divers, parlait avec des voix qui n'étaient pas la sienne et dans des langues qui lui étaient inconnues. Elle était victime de convulsions et de crises d'hystérie, mais était aussi insensible aux piqûres de clous et ne saignait pas. Carmen avalait de nombreuses épingles ou allumettes qui la laissaient indemne et qu'elle recrachait lorsqu'on lui faisait boire de l'eau bénite.
On raconte également de nombreux cas d’exorcisme pratiqués par le Pape Jean-Paul II. Un jeune témoin d'une de ces séances a raconté son expérience :
"Je me souviens que durant une audience générale ils ont fait venir une fille très particulière. À un moment de l’audience, elle s’est mise à hurler. Sa voix n’était pas humaine, elle ressemblait à celle d’une bête ou, plus exactement, elle semblait venir d’outre-tombe. La jeune fille prononçait des paroles très violentes, imprégnées de colère et de haine. Le vice gouverneur, Monsignore Danzi, est descendu, il a cherché à lui parler mais sans aucun effet. Aussi la fille se déchaînait-elle encore davantage, elle criait des paroles encore plus vulgaires, offensives. Après l’audience, le Saint Père a commencé à recevoir les invités, puis est parti pour rentrer au Saint Siège. À la hauteur de l’Arc des Cloches, il y avait la fille. C’était une jeune fille de 20-22 ans, mince, mais elle avait tant de force que six fonctionnaires de l’antichambre, appelés habituellement sediaris, jeunes gens robustes, n’arrivaient pas à la maintenir immobile. Elle avait une force inconcevable, surhumaine. Quand ils ont dit au pape ce qui se passait, le Saint Père a fait arrêter la voiture, il est descendu et à ce moment s’est passé le pandémonium. La jeune fille s’est mise à crier : « Va-t’en vieil estropié ! Maudit !... » et de sa bouche, sortait une salive verdâtre, foncée. Les jeunes gens qui la retenaient étaient tout en sueur. Son visage n'était plus celui d'un humain. Sa force non plus ne pouvait être humaine. Le Saint Père s’est approché, il a fait le signe de croix et a commencé à prier en latin. J’étais à une certaine distance, je n’entendais pas les paroles du Pape, en revanche j’entendais très distinctement la jeune fille qui continuait à crier. À un certain moment, pendant que le Pape priait, la voix de la jeune fille s’est atténuée, est devenue presque une lamentation : « Mais tu sais que je ne peux rien contre toi. Je ne peux rien, tu es trop fort, trop fort ». Le Saint Père, priant, a mis la main sur sa tête et nous avons alors entendu un cri, comme arraché du ventre. Le Pape l’a bénie, l’a touchée de nouveau. La voix de la jeune fille était encore plus faible, elle répétait : "Ca suffit, maudit", et après environ 20 minutes elle s’est tue. Puis elle s’est affaissée et son visage a repris sa physionomie normale, mais elle était littéralement trempée de sueur. Après cela, elle a ouvert les yeux et a regardé le Pape. Le Saint Père l’a caressée, bénie, et ensuite il est parti. J’étais stupéfait, bouleversé. Des phrases contre le Pape, du ton de la voix, inhumain, et surtout de la simplicité de l’intervention de Jean Paul II."
(SOURCES : Catéchisme de l’Eglise Catholique n°1673 ; Compendium CEC n°352 ; Code de Droit Canon, Can. 1172 ; Rituel Romain, Cap. De exorcizandis obsessis a daemonio ; Tanquerey, Compendium de Théologie Ascétique et Mystique ; Schram, Théologie Mystique).
Dans le Coran, les critères d'éligibilité à l'exorcisation sont moins stricts et les symptômes de la possession sont plus vagues. Il en en existe deux types distincts, touchant l'individu endormi ou éveillé. Dans le cas d'une possession, les symptômes se manifestant pendant le sommeil d'un individu sont notamment des angoisses, insomnies et agitations, des paralysies du sommeil, vision d'animaux (serpents, canidé, chats), cris et pleurs, somnanbulisme, vision de cimetière, endroit délabré ou personne ayant un physique étrange, ou rêves érotiques à répétition. L'individu possédé par un djinn en état de réveil peut présenter certains symptômes comme des douleurs dans le corps, des brûlures et échauffements inexpliqués, des malaises, des vertiges, des céphalées (maux de tête), ou le rejet des pratiques religieuses.
Le Coran reconnaît l’existence des démons et des djinns. Mais les savants sonts unanimes : la sorcellerie est formellement condamnée par l'islam. Pour guérir le malade, possédé par un djinn, les textes du Coran recommande la roqya, c'est-à-dire une forme d'exorcisme propre à l'Islam et l'ensemble de méthodes spirituelles qui consiste à remédier aux maladies occultes par lecture des versets du Coran. L’écoute par le malade des saintes sourates serait à même de le soulager et de le guérir de son mal.
Aujourd'hui, l'Exorcisme n'est pratiqué que très rarement. En effet, ces phénomènes de possession et de hantise renvoient à des expériences en rupture avec l’ordre et la fiabilité habituelle du monde, et ne font désormais plus parti des moeurs de notre époque. Les mentalités ont évolué, notamment à cause de la volonté systématique des scientifiques à vouloir trouver des explications rationnelles à tous phénomènes paranormaux. Ils étudient la parapsychologie, c'est-à-dire étudier rationnellement des faits semblants inexplicables, en relation avec le psychisme et son interaction environnementale, afin de trouver des solutions à un grand nombre de phénomènes, comme celui de la hantise ou possession.
Il est cependant très difficile d'obtenir des informations sur ces phénomènes de réelles possessions puisqu'ils sont décrédibilisés par des cas de simulations rendant une grande partie des scientifiques sceptiques. Devant l’absence d’authentification des expériences vécues, on comprend alors que certaines victimes hantées ou possédés s’éloignent du circuit médico-psychologique traditionnel. La personne entre de fait dans un domaine non réglementé où les abus et les savoir-faire fantaisistes sont nombreux. De plus, ce sujet reste plutôt tabou et très peu abordé par les différentes Eglises.
Mais dans de nombreuses sociétés et depuis la préhistoire la maladie et surtout les cas psychiatriques ont toujours été considérés commme le résultat de la manifestation d’une possession avérée. En effet, l’évolution chez un sujet possédé ou hanté peut prendre différentes formes et dans certains cas, les effets de ce type d’expérience vont créer des désordres psychopathologiques. Le sentiment persécutif induit une mauvaise image de soi occasionnant une fragilisation, un sentiment de totale impuissance, d’isolement et de vulnérabilité. De ce fait, certaines possessions pourront connaitre un destin psychiatrique, devenant un authentique syndrôme d’influence ou le point de départ d’un délire paranoïaque.
Mais la majorité des victimes sont atteintes de troubles psychiques (qui concerne la vie mentale dans ses aspects conscients et inconscients). Les psychiatres et psychothérapeutes, s’appuyant sur le discours et le récit de leurs patients, n’ont pas pour habitude de chercher la vérification objective des allégations du patient. Seule la réalité intérieure de ce dernier est à prendre en compte.
D'après ces spécialistes, les explications possibles aux cas de possessions, hantises et envoûtements seraient donc à rechercher dans la personnalité du sujet, en effet, de nombreuses affections psychiatriques pourraient expliquer les cas les plus troublants :
-Syndrôme d’influence : phénomènes parasites vécus par le patient avec la conviction d'une action occulte qui dirige ses pensées, oriente ses sentiments, commande tout ou partie de ses actes et de ses comportements : "on me fait parler, on me fait penser, on me fait agir »
-Hystérie : L'hystérie est en psychanalyse une névrose touchant les femmes et les hommes, ce conflit psychique s'exprime par des manifestations fonctionnelles (anesthésies, paralysies, cécité, contractures...) sans lésion organique, des crises émotionnelles, ou éventuellement des phobies. Ce sont des troubles du comportement dont le malade est conscient mais qu'il ne peut dominer.
-Obsession : une obsession est un symptôme se traduisant par une idée ou un sentiment qui s'impose à la conscience du sujet qui le ressent comme contraignant et absurde, mais ne parvient pas à le chasser malgré ses efforts (persistance et réitération d'idées).
-Syndrôme de Gilles de la Tourette : Cette maladie neurologique est caractérisée par des tics involontaires, soudains, brefs et intermittents, se traduisant par des mouvements (tics moteurs) ou des tics sonores. Il s’ajoute à cette maladie plusieurs troubles du comportement : déficit de l’attention, hyperactivité, troubles obsessionnels compulsifs, crises de panique ou de rage, troubles du sommeil.
-Troubles dissociatifs de l'identité tel que la dissociation de Janet : le sujet présente des personnalités multiples, des manifestations de formes nouvelles de la personnalité s'exprimant à son insu. On parle de "pluralité de visage" ou de prosopopèse par René Sudre.
-Paralysie du sommeil : c'est un trouble du sommeil se manifestant par une incapacité de bouger ou de parler, la sensation d'une présence inquiétante et par des hallucinations (fantômes, apparitions, tremblements, modification thermique).
-Psychose : Il existe plusieurs sortes de psychoses, comme les délires, la schizophrénie ou encore la paranoïa. Il s'agit de troubles graves qui altèrent la personnalité du sujet et qui l'empêchent de communiquer rationnellement avec son entourage. Cette pathologie se traduit généralement par des hallucinations auditives (voix, ordres) et le sentiment d'être sous une influence malveillante extérieure.
Cependant la stigmatisation perpétuelle des cas de possessions, hantises et envoûtements des spécialistes débouche sur une prescription instantanée de neuroleptiques. Ces médicaments calment certe les angoisses et troubles des patients mais réduisent considérablement leurs mobilités et capacités à réfléchir. La difficulté des praticiens à appréhender une éventuelle dimension paranormale a pour conséquence un étiquetage abusif de leur part.
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